Lovejoyce AMAVI

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30 ans.

Le 5 octobre 1990, j’étais à la veille de mes 10 ans le 24 suivant. Cette nonchalance enfantine qui marquait mon être d’enfant précoce au collège, allait être mise à l’épreuve, lorsque nous avions été sortis de la classe de 6e 1 du Collège Notre Dame des Apôtres et, pour nous dont les parents ne sont pas venus nous chercher, nous avons dû marcher jusqu’à la maison en faisant d’innombrables détours pour éviter les foyers de manifestations où s’opposaient des Jeunes et des soldats.

Dans ce décor de chaos que je ne connaissais pas du tout avant dans les rues de ma ville, ma conscience politique va s’éveiller le jour-là, dans cette démonstration de soulèvement et la répression exercée par un pouvoir qui ne tolérait pas la contestation. Les échos des étudiants nous parvenaient par bribes de rumeurs et de spéculations; nous marchions quelquefois, couraient ensuite pour nous abriter, certains pleurant et d’autres s’en amusant. Ce déploiement militaire dans les rues allait nous apprendre et moi, même pas 10ans, la définition de la dictature.

L’admiration que nous avions pour le président Eyadema, inculquée par le programme scolaire du cours primaire et renforcée par les liesses de rues obligatoires auxquelles nous étions conviés par nos instituteurs pour acclamer son passage, allait s’arrêter ce jour pour se porter ensuite sur d’autres figures togolaises plus éloquentes et porteuses d’ambition notamment, le regretté Tavio Amorin.

Tavio Amorin

30 ans aujourd’hui, mais ces scènes et d’autres qui ont suivi vont progressivement pousser le jeune turbulent que j’étais déjà, à me mêler de discussions politiques et chercher à comprendre encore plus ce qui se passait. La Conférence Nationale Souveraine et ce que j’en retenais à peine, forgera ma conscience politique vis-à-vis du pouvoir et de cette opposition laquelle, commençait à s’essayer en politique. Mon attachement à l’éloquence d’un Tavio Amorin, d’un Jean Degli n’avait d’égal que mes hésitations par rapport à Gilchrist Olympio que je ne trouvais pas assez convaincant pour ne dire et n’exister qu’en rapport avec son défunt père Sylvanus Olympio. Mal m’en prit et la correction que m’infligea mon père pour avoir osé contester le « Yovovia » me resta en travers de la gorge. Mais je pris ma revanche en 2010 lorsque sa trahison fut manifeste, et tenez-vous bien, en plein dîner d’anniversaire de mon père, lui promettant d’ailleurs ce jour-là que Jean-Pierre Fabre fera pareil sinon pire.

Jean Dégli

Mais quel en est le bilan du 5 Octobre?

30 ans c’est très peu dans la vie d’une Nation, pour qu’on estime d’emblée que ce soulèvement n’a rien donné. Mais dans la vie d’un homme c’est trop pour que rien n’ait changé à ce point. La fourberie du pouvoir qui a fortement manœuvré pour se conserver n’est pas en cause selon moi. Le pouvoir ne se donne pas, ce serait naïf de le penser et triste de l’espérer. Si pourtant, toute l’action de l’opposition a semblé ne compter que sur cette espérance du pouvoir à laisser tomber sa jouissance des biens publics, au nom de la dénonciation et du bon sens, la responsabilité de cet échec incombe à cette pléthore d’opposants qui se succèdent d’ailleurs à peine, avec la même stratégie, la même rengaine, pour le même résultat: eux dans l’opposition et les mêmes au pouvoir.

Aujourd’hui encore ils espèrent que le Saint-Esprit descendra. Mais là n’est pas le plus absurde de leur démarche. C’est certainement la série de trahisons internes et les chamailleries de comptoir qui ont miné l’opposition ces trente dernières années qui choquent le plus. Pour une équipe de gens instruits, qui évoquent le bien-être du peuple et les vertus de la lutte démocratique, pour ensuite s’entre-déchirer et se trahir les uns les autres, indexer la ténacité d’un pouvoir qui ne cherche en rien à camoufler son intention de s’arc-bouter au pouvoir le plus longtemps possible pour justifier son échec permanent, c’est vraiment à la limite de la lâcheté.

Les jérémiades qui suivront la commémoration de ce 5 octobre, portant uniquement la responsabilité de la situation actuelle de notre nation sur la gabegie du pouvoir, ne jetteront nul regard sur l’impéritie de l’opposition et de la société civile elles-mêmes, qui n’auront pas su infléchir la balance de leur côté et opérer ce changement tant voulu par les populations.

Les figures principales de l'opposition Togolaise (de gauche à droite) : Gilchrist Olympio, Agbeyome Kodjo, Jean-Pierre Fabre, Dodji Apévon, Brigitte Adjamagbo, Gerry Taama, Jean Kissi, Tikpi Atchadam, Nathaniel Olympio

Le 5 Octobre 1990 

De quoi est-ce donc le symbole finalement? D’une lutte avortée par les opposants plus pressés de régner que conscients des défis de la lutte? D’un combat pour la liberté qui dure depuis trente ans dont il faut en redéfinir la stratégie? Quels sont les réels acquis de ce soulèvement quand on observe le ralliement au pouvoir les uns après les autres de tous ces leaders qui ont émergé à l’époque et ont pris les devant de la lutte? Ils ont accaparé la dynamique de la jeunesse pour, s’en faisant les porte-paroles incontournables, se sont plus évertués à l’éteindre qu’à en maintenir la flamme. Ils sortent encore et font encore de grands discours et de grandes promesses, pour finalement ne bousculer que juste un peu le pouvoir en place, s’attabler pour un énième dialogue qui finira nécessairement en compromissions.

Le 5 Octobre représente d’abord la force nécessaire de la jeunesse d’une nation qui, acculée par l’oppression et l’injustice, a pris son destin en main pour dénoncer la dictature. C’est la démonstration du courage de briser le statu quo, qui peut naître d’une jeunesse consciente de ses enjeux d’épanouissement. Mort dans l’œuf ou encore en gestation, ce soulèvement du 5 octobre est la preuve que les peuples finissent toujours par se révolter contre leurs oppresseurs, pour réclamer au prix de leur sang, la liberté qui leur est due.

Et maintenant?

Le pouvoir qui s’est maintenu s’est adapté et a fourbi de nouvelles armes pour assurer son maintien permanent. Avec les moyens d’État, l’appui de l’armée acquise à sa cause visiblement, le pouvoir togolais ne craint plus rien, pouvant désormais compter sur la cupidité et l’attrait du gain facile d’une jeunesse gavée au loisir et au raccourci, avec la complicité des leaders de l’opposition qui semblent ne se contenter que d’exister et de tenir leur rôle. Le multipartisme n’est pas gage de démocratie pourtant. Les déclarations d’intention ne sont pas des actes tangibles de nature à opérer le changement. La simple évocation de l’alternance ne tourne pas la clepsydre qui change la donne. Seules des mains valeureuses construisent les édifices et non uniquement les mots, encore les mots.

Si le 5 octobre 1990 a fait date pour la postérité, l’histoire retiendra des noms et surtout une certaine idée de la vie politique du pays.  C’est un marqueur essentiel dans la trajectoire du peuple togolais vers une libération totale des mains de la dictature, elle qui ne fait que s’enliser dans la jouissance non refrénée des biens d’état et des privilèges afférents, toujours en bande organisée, se partageant les perchoirs en famille et en clan. Si le Président d’alors est mort 15 ans après cette date, que son fils qui lui a succédé dans des conditions scabreuses a d’abord tenté de lisser le fonctionnement du pouvoir mais peine toujours visiblement à réconcilier les Togolais, lui qui ne semble rien faire d’autre depuis 15ans, que conserver les privilèges indus et mal acquis par 38 ans de règne de son père. L’espoir qu’il a suscité au cœur d’une jeunesse déçue par l’opposition, celui né dans le cœur de ces autres jeunes nés dans les années 2000 et qui n’ont aucune idée de la lutte des années 90, s’éteint à la vitesse avec laquelle il se fiche des réels défis de développement en s’accordant le maximum de privilèges, à lui seul et à son sérail composant les 1% de la population qui accaparent 99% de la richesse nationale. Comme dit plus haut, le pouvoir définitivement ne se donne pas.

Entre 2013 et 2015, j’ai vu de près les axes de gouvernement. J’ai encore plus espéré. Mais ensuite il m’a fallu me rendre à l’évidence que la machine du pouvoir, bâtie sur la corruption et qui ne se nourrit que de corruption, mettait toute bonne volonté en situation de Sisyphe ad aeternam. Je suis parti pour ne pas en être. Je m’étais engagé pour communiquer et travailler à mobiliser pour que nous soyons plus nombreux à croire et travailler ensemble. Mais il y a des choses que ma trajectoire de vie ne m’autorise pas à faire.

Pour finir, sachez qu’il est loin le temps de la chanson des jeunes qui offraient leur mort en sacrifice pour la nation. Une ferveur perdue, qu’il faut nécessairement réinventer.

Nooo Vaaa Mia mi la da kpé, Mia ntoê lé sa miabé kou* 
*s’ils viennent, nous lancerons des cailloux, 
c’est nous-mêmes qui offrons notre mort
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5 octobre 1990,Gnassingbé,opposition,Politique,Pouvoir,soulèvement populaire,Togo

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1 commentaire

  1. ….Le pouvoir ne se donne pas et c’est vraiment naïf de penser ça…
    L’opposition togolaise est comme un artiste qui fait une tournée de façon ponctuelle. Tu ne verras ces gens là qu’à l’approche d’échéances politique. Il vont crier, s’insulter entre eux et enfin dialoguer pour trouver un consensus dans l’intérêt du pouvoir en place bien sûr. Et puis plus rien jusqu’à la prochaine échéance politique.
    La jeunesse actuelle n’est plus dupe, elle veut paradoxalement beaucoup de choses sans être prêt à faire ce qu’il faut pour. Et bien évidemment, elle n’a aucun LEADER à prendre comme exemple et qui va éveiller cette lutte politique de liberté chez elle.

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