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Sur les pas d’Adèle (13)

Francis Gallet était un vieux fouineur, du genre à qui on n’apprend plus les ficelles du métier. Journaliste d’investigation avec un background de détective privé, il usait de tous ses atouts acquis par l’expérience. Son plus grand talent : l’observation. En retrait dans cette villa où grouillaient plusieurs policiers à la recherche d’indices, il scrutait les moindres mouvements, les moindres expressions et tentait de lire sur les lèvres. Son informateur lui a parlé de deux filles assassinées au couteau dans un décor d’orgie qui a mal tourné. Dans sa rubrique dans le journal local Le Monaco Tribune, il racontait les faits divers et les enquêtes policières sous une forme romancée qui plaisait aux lecteurs. En signant F.G. pour garder un certain anonymat, il se garantissait ainsi une discrétion utile à son métier mais la police le connaissait bien. Sa présence sur les lieux de ce crime ne  surprenait personne. Au contraire, on le saluait chaleureusement. Il est souvent arrivé que ses analyses pointues aient servi d’orientation pour les enquêteurs. C’était la famille.

Les inspecteurs venaient de noter les réponses de la femme de chambre et s’en allaient. Francis Gallet voulait l’interroger. Il attendra son tour; quand les policiers seraient partis et que ses larmes auraient séché. Il entreprit de rejoindre un policier qui venait de sortir de la villa pour fumer et en savoir un peu plus. Il sortit sa pipe, la ralluma et tira deux petites bouffées. Entre fumeurs la confiance est plus facile : la proximité du cancer.


Florence Forestier venait de raccrocher avec son amie Adèle Anchrapoulos. Avec elle, elles ont écumé des bars et bu des rivières de Téquila. Quand elle pensait avoir une vie des plus ordinaires, la vie d’Adèle c’était Netflix. Toujours un épisode particulier et pimenté dans sa vie. Et Florence sa passion outre la téquila et l’ambiance, c’était d’écouter les histoires d’amour pimentées des autres. En évitant elle-même de tomber amoureuse par peur du chagrin, rien ne lui donne la sensation de vivre intensément que d’être dans les histoires de cœur des autres. La passion par procuration. Il se passait quelque chose d’intense dans la vie de sa copine à Monaco, et il n’était pas question qu’elle soit loin des événements. Elle ne partait pas pour ramener Adèle, sa valise remplie de vêtements dans le coffre de son auto en témoignait. En tout cas pas question de rentrer sans avoir réussi à remettre Adèle et John ensemble. Elle était prête à emmener sa copine à la recherche de son amoureux dans tout Monaco; parce qu’elle ignorait tout de leur rencontre au Shakin’s. Dans dix minutes elle serait à Monaco.


Quelle fut la surprise de Maître Inès Deauville, lorsqu’elle aperçut John au bord de la falaise en arrivant sur les lieux qu’il lui avait indiqués. Sa voiture garée en biais de l’autoroute, elle le vit loin torse nu les pieds dans le vide, à quelques centimètres du drame. Son chauffeur qui a autant paniqué qu’elle descendit prêt à intervenir. Elle lui fit signe de ne pas bouger, rassemblant son courage et marcha vers John qui se retourna vers elle en entendant ses pas. Les yeux rouges qui la fixèrent achevèrent de l’affoler totalement. Que se passait-il? Elle en saurait un peu plus bientôt, à condition que son client ne fasse un mouvement de trop et qu’il ne tombe plus bas que l’image qu’il donnait de lui à cet instant; dans cet endroit funeste où elle n’aurait jamais imaginé le voir. Elle l’appela :

  • John! Voulez-vous venir on va prendre un café pour discuter. Je suis arrivé aussitôt que  j’ai pu.

John baissa la tête. Puis la secoua. Il était content de voir son avocate, mais il restait découragé pour la suite des événements. Tout l’incriminait et il se savait en très mauvaise posture. Sa réputation, celle de l’entreprise familiale, de sa famille seront mises à mal par sa faute. Mais rien de tout cela ne lui faisait pas plus mal que de penser qu’Adèle ne voudrait plus jamais de lui parce qu’il avait couché avec d’autres filles et qu’il les a peut-être tuées. Seule la mort le délivrerait de cette douleur. Même en prison il en souffrirait. Que s’est-il passé? Comment tout cela est arrivé? Il se mit à sangloter lorsqu’il sentit la main de son avocate se poser sur son épaule et qu’elle lui murmura :

  • Venez John, on va en parler.

La dépression est une tempête. Elle commence avec des nuages sombres qui obscurcissent à peine la vue. Puis les vents se succèdent avec acharnement faisant tomber les branches fragiles de l’espoir et de la foi. Le grondement du tonnerre peut être inaudible mais les éclairs foudroient l’âme. Les tôles de la confiance s’arrachent de votre vie et vous exposent au déluge des larmes. Vous êtes à nu. La dépression vous envahit et détruit tout sur son passage dans votre vie. Vous pleurez mais vos larmes ne sont pas visibles. Vous souffrez mais personne n’est là pour comprendre la profondeur de votre peine. Le souffle de la tempête vous murmure que vous ne pourrez plus rien y faire et il vous invite au voyage ultime dans la mort. Votre esprit décroche; il démissionne. Dans la chambre noire de votre cerveau, vous vous convainquez que seule la mort mettrait fin au bruit négatif qui vous assaille. Vous cherchez la lumière, celle qu’on appelle « lueur d’espoir » mais rien. L’abîme est grand et vous êtes seul dedans. John était seul dans le tourment de cette histoire rocambolesque, et il ne se retrouvait pas. Une main venait de se poser sur son épaule; presqu’inconnue mais la seule, chaleureuse, intelligente. Il se dit que beaucoup n’ont pas cette chance lorsqu’ils sont pris dans le tumulte du désespoir. Il décida de s’accrocher à cette main sur son épaule.

Il se leva.

À suivre.

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