Il y a deux jours je réfléchissais à la question du bonheur, non pour le chercher comme je le fais chaque jour depuis mon enfance, mais pour me poser et en examiner les coutures, pour ensuite partager mes conclusions avec quelques amis d’Apéro conversations. Je vous avoue, c’est un exercice que j’aurais dû faire depuis longtemps au lieu d’attendre que mes tempes soient grisonnantes aujourd’hui, que le temps ait fini par faire effet sur moi et sur ma détermination. J’aurais dû. Et si je vous en parle, vous les plus jeunes surtout, c’est pour vous mettre en garde.
Ce n’est pas l’hédoniste épicurien, vegan, philosophe à ses heures perdues, entre autres attributs de mon âge qui vous le dit. C’est le nouveau partageur et vulgarisateur de notions que je suis devenu depuis 2020 à la faveur du confinement anti-covid, qui s’est assis il y a deux jours pour évaluer cette équation insoluble que nous appelons le bonheur.
Avant, on trouvait le bonheur par hasard, par chance, sans s’y attendre : au petit bonheur la chance disait-on. Zeus avait même crevé les yeux de Ploutos pour éviter qu’il ne donne la richesse qu'aux seuls méritants. Dans son périple aveugle, il donnait la fortune aux hommes qu’il croisait, sans vérifier à quels desseins ceux-ci l’utiliseraient selon leurs caractères. Bons et méchants étaient égaux aux yeux que Ploutos n’avait plus. Équilibre. Mais un jour, l’appât du gain se fit plus intense, et la ruée vers le bonheur commença. Armés de pioches et de pelles, toute l’humanité partit creuser, fouiller, bêcher, ne laissant nulle place où la main ne passe et repasse. Sans jamais s’arrêter. La richesse est devenue le Graal. Porteuse de toutes les vertus du plaisir et de l’assouvissement de tous les désirs, elle est désormais la réponse à toutes les envies. Toutes choses se font par elle et rien de ce qui se fait ne se fait sans elle. Elle est la vie et la lumière des hommes.
Le bonheur est la chimère favorite des hommes; autrefois occasionnel, aujourd’hui le must-have de tous, sans lequel la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. On naît pour chercher le bonheur et sans cela on n’est pas. L’existence se mesure désormais à la satisfaction globale, constante et durable de tous les désirs. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. On veut tout, là maintenant et pour toujours. Le beurre, l’argent du beurre, sans oublier les faveurs de la fermière.
Pourtant on le sait, que jamais on ne peut tout avoir. On a conscience de nos limites sur la nature, les événements, les choses et sur les gens. Tout avoir n’est pas qu’une utopie; c’est également une absurdité. Dans une vie qui est énergie en mouvement, où le temps fatalement altère toutes choses, où l’espace grand et contraignant limite nos accès aux choses, une vie où les lois de la Nature s’exercent au-dessus de nous tous, comment vouloir atteindre cette idée du bonheur ultime, omnium inaltérable ni par le temps, ni par les circonstances? Cette quête est à l’âme ce que la gangrène est au corps; il faut en faire l'ablation ou se laisser consumer.
Tous les désirs ne sont pas utiles à satisfaire, et même d’y penser. Certains sont moulés dans le chagrin et nous peinent inéluctablement. Le bonheur se trouve dans les petits riens du quotidien, dans les miettes de ce qu’on trouve à la table de chaque jour, et qu’on décide de célébrer. Si nos corps s’endorment à la fin de chaque jour pour se réveiller le lendemain, nous devrions ainsi éteindre nos passions chaque soir pour en connaître de nouveaux au matin suivant. De ces maillons de passions quotidiennes, nous pourrions sans y prêter attention vraiment, finir par construire une chaîne solide d’un bonheur entier, assouvi chaque jour durant notre existence, à partir de toutes ces miettes que nous avons acceptées et dont nous avons fait un festin en toute gratitude. Comme les enfants, ne rien regretter, ne rien espérer. Vivre. Être. Exister. Profiter. Jouir. Des verbes qui se ne s’exercent que dans l’instant présent. Carpe Diem.
Vous avez appris que le « Royaume des cieux appartient à ceux qui ressemblent aux enfants » (Mathieu 19,14). Mais comment ressembler à des enfants dans ce tumulte de responsabilités et de soucis? À chaque jour suffit sa peine! Il nous faut vivre dans le Royaume des yeux, qui doivent apprendre à apprécier la réalité qu’ils appréhendent, se fermer le soir pour se reposer et découvrir un lendemain de toute nouveauté; de toute beauté.
Demain est toujours un autre jour.
Vivre. Être. Exister. Profiter. Jouir. Quoi d’autres? ????
Magnifique texte?
Le bonheur est peut-être dans le chemin que l’on trace (ou déjà tracé ?) pour le trouver ?
Car combien de personnes, une fois atteint leur objectif tant attendu, s’aperçoivent qu’il leur manque encore autre chose ?
Merci pour ce partage ??